L'eau déferle sur l'Anjou
C'est un déluge, et presque un tsunami, qui engloutit le bassin de la Maine en ce mois de janvier 95.
Tous les superlatifs ont été utilisés pour qualifier cet enchaînement des faits qui surviennent après une année pluvieuse et des sols regorgés d'eau.
L'embouchure de la Maine est un déversoir géant pour le grand ouest
Le bassin de la Maine est un entonnoir de 22 000 km2 qui recueille les eaux de la Basse Normandie (depuis Chartres) du Maine et d'une grande partie de la Bretagne.
A Angers, le pont de Verdun et les berges commencent à disparaître
Le vieux pont fait barrage.
Lors de cette crue, 2 200 m3 par seconde se déversent dans la Maine, alors que le pont du Centre (Verdun ) ne peut en laisser passer que 1200 m3 dans un goulet de 110 m de
large. Imaginez la pression !
Ce n'est plus un pont, mais un barrage.
Pour cette raison, les autorités ont miné le pont et se préparent à toute éventualité pour le faire sauter. Ce qui aurait causé moins de dégâts que de le laisser emporté par le courant déchaîné..
Dans ces moments là, une cellule de crise suit particulièrement l'évolution de la crue de la Loire. En effet, celle-ci vient s'opposer à l'écoulement de la
Maine et cette confrontation peut déclencher le pire rapidement.
A Bouchemaine, la crue relativement modérée de la Loire a fait éviter le pire.
Une pluviométrie 1994 exceptionnelle : la pluie devient imperméable
La Météo avait été particulièrement pluvieuse. Dans les douze mois précédents, il était tombé une tonne de pluie au m2. Et juste avant l'inondation une forte tempête s'était levée avec des vents violents et des journées de trombes d'eau (50 mm d'eau les deux derniers jours).
Le sol et les nappes étaient gorgés d'eau et dans ce cas, comme disent les anciens, la pluie devient imperméable.
Le paroxysme est atteint le 31 janvier 1995
La hauteur de l'eau au pont de la haute chaîne atteint 7.04 m, la Sarthe 7.38 m, la Mayenne 2.68 m, le Loir 2.82 m et la Loire (seulement) 6 m.
Les ponts sont coupés à la circulation. La rocade de la Beaumette menace d'être emportée et, pour rallier Angers par le nord, il faut souvent faire 80 kms. Par centaines, les
personnes sont évacuées.
Une stèle à la chapelle de Juigné rappelle les niveaux de la Maine
et de la Mayenne et compare les crues à celles de 1910
Les deux communes les plus sinistrées et qui restent le symbole dramatique de cette crue, sont Cheffes et Briollay.
A Cheffes tous les habitants ont été évacués en laissant derrière eux 1.50 m d'eau. Paulette et Marie-Jeanne deux octogénaires surprises par la crue, ont dû être hélitreuillées et évacuées en hélicoptère.
Quand on laisse sa maison, il faut penser aux prédateurs. De nuit comme de jour, la gendarmerie n'a cessé de faire des rondes.
Dans tout le bassin, l'armée a participé à l'évacuation des personnes, un véritable exode.
Sous la crue, la désolation
350 Entreprises seront sinistrées, notamment toutes celles de la ZI Saint Serge. Le responsable de l'une d'elles, a découvert, en même temps sa maison inondée à Briollay. Dans les fermes, les animaux sont évacués sur un ou plusieurs autres sites. C'est la course contre la montre.
Le MIN est envahi par les eaux ainsi que le magasin Carrefour et toutes les Entreprises et Magazins de la zone.
Les dégâts furent considérables tant pour les particuliers que pour les collectivités et il fallut des mois et des années pour s'en relever.
Et alors, quelles leçons tirer ?
Chacun a reconnu que la destruction de la nature (par le remembrement) était la principale accusée.
Que le bétonnage inconsidéré n'apportait que la désolation, comme la zone St Serge et les voies sur berges qui ont amputé des ha de liberté à la Maine.
Quand le traumatisme s'apaise, l'analyse et les promesses perdent de leur consistance.
Certes des aménagements ont été opérés (notamment sur l'Oudon).
Des moyens d'informations et d'interventions se sont mis en place comme le PPRI (plan de prévention des risques inondations).
Parmi les mesures, on impose maintenant des sufaces maximales d'imperméabilisation du sol, comme dans notre hameau de l'Espérance. Les zones non constructibles sont
clairement identifiées et le risque doit être indiqué lors des transactions.
On avance donc, mais le goulet de la Maine est toujours là.
Quand le quai de la savatte était une île
Savez-vous qu'à une époque le quai de la Savatte était une île et que la Maine pouvait s'étendre paisiblement de la Trinité à la place Hérault. Là ou se trouve la place de la Rochefoucault, il y avait la Maine.
La prise de conscience.
Sauvagement agressée, la Maine s'est rappelée brutalement à notre souvenir.
Elle est venue occuper, exactement, l'espace qui était le sien bien auparavant.
On n'arrête pas l'eau ! Et toutes les mesures resteront insuffisantes tant qu'on ne redonnera pas l'espace qui manque à nos rivières.
Mais cela est une autre histoire.
Par contre, il restera le souvenir de l'immence solidarité qui s'est exprimée dans la tourmente et qui a fait dire à une dame âgée et émue devant la mobilisation : "Aujourd'hui, tout le monde s'aime"
Eh oui, c'est bien réconfortant !
Didier Roulois